À l'inverse d'Activision, d'Ubisoft ou d'autres ténors du marché, Rockstar Games ne témoigne pas d'un élan de générosité envers ses fervents admirateurs. Avare en contenu, le studio se terre dans un mutisme obstiné et verse au compte-goutte des informations sur son prochain titre phare. L'attente atteint son comble, à l'annonce d'une date de sortie. Et si la communication autour de « l'univers de jeu le plus grand et le plus riche jamais créé » n'était, en fait, que l'effet escompté d'un dispositif à la mécanique bien huilée ?
L'apparition d'un compte à rebours sur le site officiel de Rockstar Games lance les premières spéculations et élucubrations, touchant la première bande-annonce de GTA 5. Le toutou nourrit les fantasmes des joueurs les plus imaginatifs. De ce ouï-dire, certains arguent les années 60 en guise de cadre à l'aventure, d'autres érigent des idées plus fantasques. L'effervescence, liée à des espoirs fous, fait de nous des martyrs du jeu vidéo. En tout cas, la mission du rouleau compresseur s'avère une réussite : pousser l'impatience du public à son paroxysme. Au risque de le décevoir...
Tic tac... Tu craques !!!
« Putain ! Je me souviens quand j'étais sur le site de R*... Quelle euphorie quand on l'a tous vu en même temps ! » Joueur anonyme
Là réside le génie du développeur. En fixant un rendez-vous à ses passionnés, mû par une volonté de découverte, il exerce une pression graduelle, atteignant son point culminant les dernières heures. À l'instar des élections américaines, l'évènement semble impossible à manquer, à moins de vivre reclus dans une grotte en Antarctique. Le principe de l'effet boule de neige revisité, en somme ! Si vous n'êtes pas un adepte de Grand Theft Auto, avouez-vous au moins que la curiosité vous a poussé à concerter le résultat final, le jour J. C'est pourquoi le 2 novembre 2011 demeure, à mon humble avis, une date marquante dans l'histoire de la franchise ; aucun épisode n'a suscité autant d'engouement par le passé. Sauf qu'au lieu de clore les diverses interrogations à son adresse, les gars de chez Rockstar les multiplient tous azimuts.
Tellement de choses ont été écrites à propos de la bande-annonce susmentionnée que je ne galvauderais pas mon encre à vous relater les différentes interprétations et rumeurs soulevées par la presse. Autant les premières images, promesses d'une aventure hors du commun, causent une montée d'adrénaline, autant celles-ci transpirent aux premiers abords d'un manque de prise de risque. Los Santos, la ville fictive de Los Angeles, revisitée et remodélisée depuis son passage dans San Andreas, entourée de sa Californie natale ainsi que ses collines et vallées rurales, c'est bien ! Mais, une location inédite (Baltimore, tu m'entends ?), c'est mieux !
Je vous rassure. Une autre partie de moi me souffle à l'oreille que le jeu sera génial et que je me dois de vouer une confiance aveugle aux maîtres du monde ouvert. Mais, dépassé ce stade, qu'apporte concrètement GTA 5 par rapport à son homologue ? Au moins, je repars, l'âme légère, de ce hors-d'oeuvre, sachant que Sam et Dan Houser tiennent toutes les cartes en main pour nous subjuguer, nous faire rêver. Dans un ailleurs où règnent banditisme, luxe et précarité. De même, non content de laisser filtrer dans cet extrait des allusions sibyllines, le titre semble aspirer à un compromis entre agrément (activités, missions annexes, personnalisation, aspect jeu de rôle) et denses possibilités, se conjuguant à une cohérence narrative et poursuivant ipso facto le parti pris entamé par GTA 4, à savoir une maturité dans les thèmes abordés. Comment s'exercera concrètement le mariage de ces trois composants, la manette en main ? Je ne peux éclairer votre esprit embrumé. En tout cas, ce cinquième opus ne s'annonce pas l'épisode du renouveau, mais celui de la réconciliation. Réconciliation entre les aficionados de la démesure et du passe-boule, ainsi que les joueurs, désireux d'une approche narrative assidue et d'une satire subtile de leurs contemporains. Croisons les doigts au vu d'un traitement pertinent, moins caricatural de la crise des subprimes et des fossés entre les populations voire les générations.
Les mauvaises langues ne s'empêcheront guère de pester contre les graphismes plastiques de GTA 5, analogues à ceux d'un Sims 3. Tantôt, in fine, Rockstar Games me déçoit (je m'attendais à ce que la société prenne tout le monde de cour), tantôt elle contente les fans de mon acabit, les caressant dans le sens du poil, et leur offre le jeu de leurs rêves. Un mix détonnant dans lequel je plongerais, volontiers, sous le poids d'un plaisir coupable et avide. Avec du recul, la communication autour du produit le plus convoité de l'année 2012 constitue une prouesse, celle de nous en mettre littéralement plein la bouche.
« GTA V en 8 mois = 1 trailer + 2 screenshots Rockstar Style... » Joueur anonyme
Puis, c'est le silence radio...
Au regard du pédigrée de la série, ses géniteurs peuvent se targuer du luxe de susciter une attente insoutenable auprès de ses titres, sans beaucoup de promotions. L'absence de GTA 5 dans les salons internationaux du jeu vidéo à l'image de l'E3 ou la GDC 2012 s'explique, en définitive. Aux antipodes de Rockstar, Naughty Dog, EA et compagnie ne peuvent s'enorgueillir d'une telle indépendance et d'une foi aveugle de la part de la communauté des gamers. Est-ce aussi une manière pour Rockstar de préserver l'expérience ultime ?
Une chose demeure sûre : la coutume du studio consiste à ménager des périodes de repos puis de tempêtes médiatiques. Le schéma employé comporte quatre étapes distinctes :
- Premières rumeurs ;
- Silence (ou vice-versa) ;
- annonce des perturbations à venir ;
- révélations des informations ;
Attirer tous les regards et faire monter la mayonnaise, de surcroît, afin de mieux surprendre, telle est le principe du carré d'or. Ça ne fait pas tilt ? Une explication s'impose...
Il était une fois deux amoureux et... un chien à la plage !
Les mois précédents, souvenez-vous : nous avons eu affaire à quelques rumeurs et autres bruits de couloir. Ensuite, en août, la mise à jour de The Epsilon program, un site dédié à la fausse religion Kifflom de GTA San Andreas, joue le rôle d'un clin d'œil sournois, porté à notre égard. Plus tard, Rockstar annonce la publication d'une fournée d'images. Et hop, les deux mamelles primordiales d'un GTA réussi se voient consacrer leur série de captures d'écran respectives : en premier lieu, l'inventaire des activités de loisir (parapente, motocross et tennis) puis, ultimo, les différents types de véhicules. Le schéma se répète à plusieurs reprises. Dernièrement, par exemple, le joueur averti se souvient des photographies des pancartes publicitaires et celles des artworks volées, ayant enflammé la toile de même que la phrase lapidaire : « Une tonne d'infos arrivent le mois prochain. Préparez-vous. »
La non-citation des sources ou le journalisme professionnel !
« Les "fuites" sur la date de sortie m'importent peu, car quand on regarde la fenêtre de sortie des jeux Rockstar sur cette génération, on sait qu'on tourne autour du mois de mai, soit un peu près avant fin avril jusqu'à mi-juin.
De plus, le printemps commence le 20 mars, mais se prolonge jusqu'au 21 juin, ça fait une belle plage de date de sortie possible !
Je pense qu'ils vont l'annoncer pour fin mars/mi-avril puis vers la fin de l'hiver, ils déclareront leur classique retard pour peaufiner leur bébé. (Comme ça, on crée le sentiment de manque et de besoin, en donnant l'impression qu'ils préfèrent se mettre les impatients à dos plutôt que de lâcher un produit mal fini.)
Ainsi fonctionne le marketing Rockstar ; il possède une licence qui vaut des millions, ils lâchent plus ou moins des fuites pour que les gens spéculent sur le contenu et le reste, et l'on en parle comme encore aujourd'hui, puis on donne super envie avec des images... puis c'est le silence total ; ensuite, on passe à un ou deux reports, accompagnés de trailers et de screenshots, histoire de se faire pardonner. Et quand tout le monde (les gros fans) n'arrive plus à dormir, car la date est définitivement arrêtée, et bien on vit le plus gros lancement de tous les temps !
Rockstar, ce sont les Milène Farmer du jeu vidéo, très discret, quelques miettes, de temps en temps, pour entretenir le noyau des fans, de la propagande virale reposant sur des fuites, je pense, calculées. Et puis, les bougres pondent un jeu qui ravit les fans qui à peine sortie sont déjà morts de faim de la moindre info sur le prochain jeu ! Bien joué Rockstar ! » Joueur anonyme
Il y a donc fort à parier que la communication autour de Grand Theft Auto V s'intensifie dans les mois suivants, crescendo. Comme à son habitude, Game Informer aura les premières informations exclusives sur la bête. Attendez-vous aussi aux vidéos commentés, compensant la disette, dont le format côtoie Red Dead Redemption et Max Payne 3. D'ailleurs, le procédé trouve preneur ; Square Enix, entre autres, se l'est réapproprié pour ses derniers hits (Hitman Absolution, Sleeping Dogs, etc.). En guise de conclusion, la machine GTA, orchestrée d'une main de fer par Rockstar, semble fonctionner à merveille, depuis des lustres. Mais, ne nous voilons pas la face. Avant d'être un vendeur hors pair, les insolents de l'industrie du divertissement sont producteurs de pépites, de chefs-d'œuvre, de titres efficaces, qui dépassent les limites du cadre ludique, défiant avec fougue ses concurrents. Bien que je ne puisse assouvir votre soif, laissez-moi vous réconforter à l'idée de vous essayer, après avoir triomphé d'épreuves, mettant à mal votre patience religieuse, à un bac à sable, frisant, à ne pas en douter, la maestria. Un jeu qui fait fi des fondamentaux, jusqu'ici connus. Un jeu, non une expérience baptisée Grand Theft Auto V !
Bien à vous, mes chers frères de sang et d'armes !